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Le gras fait-il grossir ?

La réponse n’est pas aussi simple comme l’explique en détail J-M LECERF du Service Nutrition de l’Institut PASTEUR DE LILLE dans un article publiée par le Journal International de Médecine en date du 23 février 2015.

J.-M. LECERF, Service de nutrition, Institut Pasteur de Lille

Les études épidémiologiques, cliniques et expérimentales sont analysées afin de déterminer le rôle des lipides dans la prise de poids. Il apparaît qu’il dépend du contexte alimentaire global, de la balance énergétique, de la nature des lipides et de facteurs génétiques propres à l’individu. Cette question pourrait paraître saugrenue à la plupart des néophytes, voire à certains spécialistes. Et pourtant elle mérite d’être posée, d’abord parce que les fonctions des lipides ne sont pas de faire grossir (!) mais de fournir de l’énergie aux tissus utilisateurs (muscles en particulier) via l’oxydation lipidique, de remplir des rôles structurels (membranes…) et des rôles fonctionnels (production de médiateurs chimiques) : ces rôles sont dévolus aux acides gras saturés et aux acides gras insaturés à la fois ; même si seuls certains acides gras polyinsaturés sont indispensables, car non synthétisés, tous sont utiles. La fourniture d’énergie peut être différée et c’est le rôle du stockage des lipides dans le tissu adipeux. Le stockage des graisses est une fonction physiologique et le tissu adipeux parfaitement régulé pour maintenir le poids stable. Mais lorsque la balance énergétique se positive de façon chronique, un gain de poids peut survenir. Mais les graisses peuvent-elles en être la cause ?

Données épidémiologiques

Les études écologiques ou transculturelles montrent le plus souvent une corrélation positive entre consommation apparente de lipides (disponibilité) et poids moyen des populations ou prévalence du surpoids. De même, une évolution parallèle a été observée dans le temps entre augmentation du pourcentage de lipides dans la ration et augmentation de la prévalence de l’obésité au Danemark. Cependant, Prentice, en Grande-Bretagne, n’a pas trouvé cette association, alors qu’elle existe entre indicateurs de sédentarité et prévalence de l’obésité. Mais ceci ne signifie pas relation entre les deux : il peut s’agir d’une simple juxtaposition, de nombreux autres facteurs associés et liés au mode de vie pouvant être la cause de l’augmentation observée du poids. Certaines études transversales, telle MONICA chez les femmes, ont même trouvé une relation inverse entre IMC médian et pourcentage de lipides dans la ration, mais l’exclusion des pays de l’Est (à l’époque) ne permet plus de retrouver cette relation inverse. De même, il a été observé aux États-Unis un paradoxe avec une augmentation de la prévalence du surpoids, tandis que le pourcentage de lipides dans la ration diminue. Toutefois, il faut souligner que ces études concernent le pourcentage de lipides dans la ration : or, d’une part, celui-ci dépend aussi de l’apport énergétique total, d’autre part, il est strictement ou inversement corrélé au pourcentage de glucides, et enfin c’est la valeur absolue de lipides qui devrait être prise en considération. Dans une étude transversale anglaise, il est d’ailleurs intéressant de souligner que c’est le rapport lipides/amidon qui est corrélé au pourcentage de sujets en surpoids ou obèses. Dans cette étude, les sucres et les graisses sont corrélés en valeur absolue à l’IMC ; toutefois, dans la mesure où il existe un très grand nombre de sous-estimateurs dans le groupe des sujets ayant un IMC > 30 kg/m2, en retirant ces sujets il n’y a plus de relation entre apports en sucres et en graisses en fonction de l’IMC, excepté le fait que les femmes non sous-estimatrices et obèses en consomment plus. Mais ces études ne prennent pas en compte le stade de l’obésité des sujets : or, c’est une maladie « dynamique », les sujets pouvant être des gros mangeurs au début de la maladie, plus après, lorsque leurs dépenses liées à l’activité physique et au métabolisme de base ont beaucoup diminué. Pour cette raison notamment, les études prospectives sont plus intéressantes que les études transversales. Ainsi, l’étude des infirmières américaines avec un recul de 8 ans avait montré en 2007 une faible association entre pourcentage de lipides et gain de poids, tandis que le lien entre apport en AG saturés, et surtout entre changement d’apport en acides gras trans était associé à un risque élevé de gain de poids. On sait qu’à l’époque, les consommations d’acides gras trans étaient liées aux apports en viennoiseries, gâteaux, fast-food, margarines de bas de gamme ce qui explique peut-être cela.

Études cliniques

De nombreuses études cliniques ont été réalisées. Elles montrent des résultats parfois apparemment contradictoires. Chez l’adulte, la comparaison de sujets de même poids, en surpoids ou obèses soit ayant un poids stable, soit en gain de poids, montre des apports énergétiques et glucidiques plus élevés, mais les apports lipidiques et l’activité physique ne sont pas statistiquement différents en cas de gain de poids.

Une autre étude de beaucoup plus grande ampleur a été menée par la très bonne équipe canadienne dans l’étude Québec Family Study : les sujets du tertile haut et du tertile bas d’apport lipidique n’ont pas de différence de gain de poids ou de tour de taille sur 6 ans de suivi. Puis dans cette même étude, ils ont analysé l’odd ratio (OR) d’obésité-surpoids, d’une part et de gain de poids, d’autre part selon 9 facteurs classiques ou non classiques dans l’obésité : l’apport lipidique (> 40 %/< 30 % de l’apport énergétique total) a un OR de 1,30 pour le gain de poids et se situe après les scores élevés de désinhibition et les scores de faim ; en revanche, il est le huitième pour obésitésurpoids (OR 1,64). En regroupant 2 facteurs (l’apport lipidique élevé et la non-participation à une activité physique intense), l’OR d’obésité-surpoids est 2 fois moins important qu’avec 3 facteurs non classiques (faible apport en calcium < 600 mg/> 1 000 mg, score de désinhibition, déficit de sommeil < 6 h/> 7-8 heures [OR 2,95 vs6,05]). Chez l’enfant, les études cliniques ont montré des résultats variables. Les études cas-témoins ont montré soit des apports identiques (enfant obèse/enfant de poids normal), soit des apports lipidiques plus élevés chez tous les enfants, ou chez les garçons seulement. En revanche, la plupart des études transversales montrent une corrélation entre apport lipidique et masse grasse, chez tous les enfants ou chez les garçons seulement. Mais cette corrélation est moins forte qu’entre apport énergétique et adiposité. Une étude prospective n’a pas montré de relation entre apports lipidiques et énergétiques en base et prise de poids entre 4 et 10 ans. En revanche, il existe une interaction forte entre le nombre d’heures passées devant la télé et un apport lipidique élevé et une augmentation de l’adiposité entre l’âge de 4 et 11 ans.

Pourquoi les lipides pourraient-ils faire grossir ?

Dans certaines conditions, les lipides peuvent entraîner une prise de poids : la première explication avancée est le fait que les lipides fournissent 9 Kcalories/g (alors que les glucides n’en apportent que 4), mais la question n’est pas là, mais plutôt de savoir si 1 Kcal lipidique a un effet différent de 1 Kcal glucidique. Par ailleurs les calories ne font pas grossir ! Elles ne font grossir que si elles ne sont pas oxydées (« brûlées »). En effet, les nutriments énergétiques n’ont que deux destinées : oxydés ou stockés. Il se trouve que le réservoir d’énergie lipidique stockable est infiniment plus grand que le réservoir glucidique (glycogène hépatique et musculaire) et donc, dans la mesure où les glucides ne peuvent guère être stockés sous forme de glycogène, ils seront le plus souvent oxydés : quant à la transformation des glucides en lipides, elle est essentiellement hépatique et ne survient qu’en cas de surconsommation glucidique massive. Des expériences de suralimentation ont été menées depuis longtemps sur des périodes courtes : il apparaît qu’une suralimentation lipidique entraîne une faible oxydation lipidique (et donc un stockage) tandis qu’une suralimentation glucidique entraîne une forte oxydation glucidique (et donc peu de stockage) mais peut entraîner une réduction de l’oxydation lipidique (et donc un stockage lipidique accru) en cas d’apport lipidique associé ! Les études ont également montré que la balance lipidique se positivait dès lors que l’apport lipidique dépassait 40 % de l’apport énergétique total (AET), régulièrement. Là aussi, il existe une interaction « apport lipidique et inactivité physique », avec une plus forte potentialisation des deux sur la balance lipidique que l’interaction « apport glucidique/inactivité physique ».

De plus, un régime hyperlipidique fait prendre plus de masse grasse et moins de masse maigre qu’un régime hyperglucidique. Tout ceci peut être apprécié par le quotient respiratoire. Quand il est plus élevé, cela témoigne d’une plus forte oxydation glucidique et donc d’une moindre oxydation lipidique, et donc d’un stockage lipidique accru, et c’est donc associé à un gain de poids plus important. Il semble donc qu’en excès, un apport élevé en lipides favorise plus un gain de poids qu’un apport glucidique élevé. Mais qu’est-ce qui fait manger plus de lipides ?

Pourquoi une suralimentation lipidique ?

On sait qu’il existe une relation entre les préférences alimentaires et la fréquence de consommation d’un aliment. Or, les préférences sont le plus souvent corrélées à la densité énergétique des aliments, elle-même parfaitement corrélée à la teneur en lipides des aliments. Plusieurs études ont bien montré que l’apport énergétique est corrélé à la densité énergétique de l’alimentation, et que la densité énergétique de l’alimentation est corrélée à l’apport en lipides de l’alimentation… ; mais… il existe une faible relation inverse entre IMC et densité énergétique de l’alimentation, dans des études transversales (peut-être parce que les sujets de poids moins élevé peuvent manger « ce qu’ils veulent »… !). Et puis le pourcentage de lipides ne résume pas tout. Ainsi, une étude a bien montré qu’un régime « riche » en lipides (> 30 % de l’AET) n’était pas associé à une prévalence accrue de l’obésité lorsque l’apport en fruits et légumes était simultanément élevé. Dans cette étude d’ailleurs, la densité énergétique est inversement corrélée à l’apport en fruits et légumes quel que soit le niveau de l’apport lipidique. La densité énergétique est donc une résultante de plusieurs facteurs nutritionnels (apport en lipides, apport en fruits et légumes, teneur en eau des aliments). On sait d’ailleurs que l’on consomme un « volume » et que lorsque la densité énergétique augmente, pour un même volume, on consomme plus de calories. Toutefois, la taille des portions a un effet synergique majeur avec la densité énergétique sur l’apport énergétique réel. La surconsommation lipidique peut être également favorisée par d’autres facteurs : le stress chez les sujets restreints est associé à un apport lipidique accru ; de même, les obèses « fluctuants », c’est-à-dire soumis à un régime, ont une préférence accrue pour le gras (et pour le sucre). Les choix peuvent aussi être affectés par une sous-estimation de l’apport lipidique : ainsi, des aliments à connotation favorable (« müesli ») ont un apport énergétique sous-estimé comparativement à des bonbons chocolatés, surtout si, en outre, ils sont porteurs d’une mention « à faible teneur en lipides ». De même, les personnes obèses de classe sociale défavorisée sous-estiment le contenu énergétique d’aliments gras !

L’inégalité des sujets

L’inégalité n’est pas que sociale, elle est aussi génétique. On sait ainsi que lorsque l’apport lipidique croît, à partir d’un certain seuil, seuls les sujets déjà obèses et ayant des parents obèses ont un changement d’IMC. De même, la balance lipidique est négative chez un sujet de poids normal pour un apport lipidique de 30 % de l’AET, alors qu’elle est positive à partir de 30 % chez un post-obèse. Il a d’ailleurs été montré que le postobèse (c’est-à-dire l’ancien obèse) oxyde moins bien les lipides que le témoin, surtout lorsque l’apport lipidique croît. Cette « inégalité » peut être secondaire à l’obésité ou primitive. Ainsi on sait qu’un faible métabolisme de base (/kg de masse maigre) est un facteur de prise de poids, ou encore que des hommes jeunes de poids normal dont les 2 parents ont un poids élevé ont une moindre oxydation lipidique que des hommes jeunes de poids normal dont aucun parent n’est obèse. Il existe donc des facteurs génétiques prédisposants, mais l’interaction génétique nutrition est également très importante. Ainsi, des sujets ayant des gènes de prédisposition à l’obésité prennent plus de poids pour une consommation donnée d’aliments frits.

La nature et la source des lipides

Ceci est aussi important à considérer et à la mode. C’est le cas des noix. Ainsi, une étude épidémiologique transversale a montré que la consommation de noix est associée à un moindre poids ; une attitude prospective a confirmé un moindre gain de poids pour une consommation élevée de noix que pour une consommation faible. Ceci pourrait être lié à l’effet matrice des aliments et donc des noix. Quant à la nature des lipides, elle ne semble pas avoir d’effet notable : ainsi une suralimentation avec de l’huile de palme (AG saturés) ou avec de l’huile de tournesol (AGPI w6) entraîne un gain de poids identique.

Conclusion

Les lipides sont de très bons candidats au stockage des triglycérides dans le tissu adipeux. Les études épidémiologiques suggèrent qu’ils puissent avoir un rôle dans l’épidémie d’obésité. Mais au niveau individuel, il existe des sensibilités différentes liées à des facteurs métaboliques, comportementaux et génétiques. C’est cependant l’équilibre énergétique et donc glucides + lipides/dépenses énergétiques qui importe le plus.

L’excès de lipides peut contribuer, s’il est régulier, à positiver cette balance.

Références
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 4.Chandon P. Calories perçues : l’impact du marketing. Cah Nutr Diet2010 ; 45 : 174-9.
 5.Martínez-González MA, Bes-Rastrollo M. Nut consumption, weight gain and obesity: epidemiological evidence. Nutr Metab Cardiovasc Dis2011 ; 21 Suppl 1 : S40-5.
Copyright © Len medical, Gynecologie pratique, septembre 2014
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